Newsrooms

10 éditeurs (américains) qui assurent

Par Charles Mariaux, le 12 avril 2020

Le média Editor & Publisher a dévoilé sa liste 2020 des 10 éditeurs de presse ayant innové avec succès. Traditionnellement consacré aux journaux, ce classement a intégré cette année tous les éditeurs de news, l’objectif étant de dresser un panorama des idées, méthodes ou créations ayant généré différentes réussites au sein des médias. Une belle occasion de s’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs.

1- Arizona Republic

Des projets journalistiques d’envergure grâce à la technologie : c’est le pari initié en 2018 par le quotidien américain de Phoenix, avec le reportage “The Wall”, consacré au projet de mur frontalier du président Donald Trump. Une des particularités était l’utilisation d’une grande diversité de formats journalistiques — histoires, vidéos, podcasts, réalité virtuelle — pour provoquer une immersion totale. Fort de ce succès (le reportage fut distingué notamment par un prix Pulitzer), le journal a décidé l’an passé de réaliser deux nouveaux projets :
• Un podcast divisé en six parties consacré à Don Bolles, un journaliste d’investigation assassiné après avoir enquêté sur la mafia et la corruption en Arizona. Fait original, la rédaction a utilisé d’anciennes cassettes audios appartenant au journaliste, permettant aux auditeurs de l’entendre raconter certains pans de son enquête, 43 ans après sa mort. “Quand nous avons trouvé les bandes, nous avons su qu’il était impératif de donner à Don Bolles une chance de raconter son histoire”, a déclaré le rédacteur en chef Greg Burton à Editor & Publisher. “Les podcasts n’existaient pas quand il était journaliste donc c’était une façon de présenter cette histoire d’une manière nouvelle et interactive.”
• Les films documentaires. Leur troisième long-métrage, intitulé “They Haves Names” suit cinq familles placées dans le système de protection de l’enfance. Des projections à guichet fermé sont régulièrement organisées.

2- Arkansas Democrat-Gazette

Pour la première fois depuis 20 ans, le journal américain n’a pas réalisé de bénéfices en 2018. Face à cela, l’éditeur Walter E.Hussmann Jr a misé sur l’audace plutôt que sur de traditionnelles méthodes de réduction de contenu. Réalisant que sur les 100 000 abonnés livrés à domicile, seulement 4000 consultaient la version numérique, il a décidé de leur offrir un iPad, à condition de le rendre en cas de rupture d’abonnement. L’objectif ? Inciter les abonnés à utiliser la version numérique et améliorer ainsi le revenu par utilisateur. Aujourd’hui, 79% des abonnés ont opté pour cette formule. Un succès que Walter E.Hussmann Jn explique simplement : l’iPad est un produit apprécié et familier, l’usage du numérique s’est largement popularisé et de nombreuses personnes ont été sensibles au fait que le journal risquait de faire faillite si les abonnés ne consultaient pas l’édition numérique.

3- Chicago Sun-Times

Après avoir failli être racheté, le Chicago Sun-Times a initié en 2017 une vaste opération de modernisation numérique, repensant les offres et lançant de nouvelles formules d’abonnement. Le journal a également changé de CMS en devenant le premier à transférer son site web sur la plateforme Chorus de Vox Media. L’expérience utilisateur aurait ainsi gagné en célérité et en qualité, et plusieurs années de contenus ont été restaurées.

En outre, le Chicago Sun-Times a accentué la place des vidéos et proposé des podcasts de grande qualité avec des résultats probants: en 2019, les vues de vidéos ont augmenté de 109%, avec une hausse de 167% d’abonnés sur la plateforme Youtube. La même année, 900 000 podcasts ont été téléchargés.

Le journal n’oublie cependant pas la presse écrite et a lancé le “Sports Saturday” en avril 2019, un hebdomadaire sportif avec des articles de fond. En novembre, les revenus de la presse écrite et du numérique avaient augmenté de 31% versus l’année précédente.

4- Financial Times

Faisant toujours partie des leaders du numérique, le quotidien britannique a lancé son premier paywall en 2002, comprenant très vite que l’engagement des lecteurs et le numérique pourraient permettre au journalisme de qualité d’être source de croissance. Et les résultats l’ont confirmé : en avril 2019, le Financial Times a atteint le million de lecteurs payants. Un succès lié en partie à l’importance accordée aux données, le quotidien ayant rapidement investi dans une équipe composée de spécialistes des données et d’experts marketing. Un succès tel que le Financial Times a crée une société de conseil spécialisée, intitulée Financial Times Strategies, pour accompagner d’autres éditeurs de presse.

5- Greenspun Media Group

42 millions de personnes passent par Las Vegas chaque année. Et c’est pour cela que Greenspun Media Group a expérimenté il y a dix ans un programme baptisé ELITE (Exclusive League of Industry and Tourism Experts). Le principe est de faire vivre à des professionnels de l’accueil, comme le concierge d’un hôtel, différentes expériences liées à la ville, à l’instar de l’inauguration d’un nouveau restaurant.

Chacun en tire un avantage : les professionnels de l’accueil peuvent mieux conseiller leurs clients sur les activités à faire — ce qui les incitent à revenir -, les établissements reçoivent plus de visites et le média est distribué aux touristes par les professionnels, ce qui renforce sa visibilité. Actuellement, ELITE organise 75 événements par an, qui attirent entre 150 et 200 personnes.

6- The Keene Sentinel

Le journal américain et le Hannah Grimes Center for Entrepreneurship produisent depuis 2018 “Radically Rural” : un sommet qui, pendant deux jours, propose interventions d’experts et mises en relation dans un environnement festif, avec de la musique et de la nourriture locale. En 2019, 600 personnes étaient présentes. L’événement permet aux journaux de gagner en renommée et d’élargir leur audience. Le sommet comprend trois conférenciers en vedette, une cinquantaine d’experts et des programme axés sur les arts et la culture, l’entrepreneuriat, le journalisme, l’environnement…

7- La Voz del Interior

Le quotidien argentin a décidé de lancer sa propre solution de paywall afin de répondre précisément à ses propres besoins : Wyleex.“Avant le lancement, nous avons travaillé sur la compréhension des besoins et du comportement des utilisateurs”, a déclaré à Editor & Publisher Mauricio Rucci, PDG de Wyleex. “Nous avons réalisé des enquêtes, nous avons travaillé sur des tests avec plus de 30 utilisateurs afin de simplifier les processus de conversion. D’autre part, nous avons lancé une campagne de communication agressive axée sur la valeur de notre contenu et de notre marque. Le plus important est de comprendre les publics, d’avoir une idée de leur comportement et de les aider à vivre une expérience de consommation agréable. C’est la seule façon de les amener à payer pour un contenu de qualité”.

8- The Salt Lake Tribune

Le Président du Salt Lake Tribune, Paul Huntsman, a considéré que la pérennisation du journal passerait par la transformation de son statut juridique en association à but non lucratif. Une demande approuvée en mai 2019 pour le quotidien qui a également créé la Fondation pour le journalisme de l’Utah. Elle soutiendra le journal, les petites entreprises de journalisme de l’État et créera des bourses pour les étudiants en journalisme.

Un changement payant puisque Paul Huntsman estime que la communauté locale s’est ralliée à l’association depuis son changement de statut. La rédactrice en chef, Jennifer Napier-Pearce, espère que d’autres journaux emprunteront cette voie : “Ce statut offre une grande flexibilité et permet aux éditeurs de conserver des modèles de revenus payants, comme un paywall ou la publicité, ce qui est une excellente nouvelle pour les éditeurs de presse locale en difficulté”.

9- Seven Days

En octobre 2018, l’hebdomadaire américain a publié une nécrologie sur Madelyn Linsenmeir, une jeune mère de famille décédée à la suite de la consommation d’opioïdes. Un contenu devenu viral (avec plus de mille commentaires et quatre millions de visites), probablement parce qu’il a été rédigé par la propre sœur de la défunte, Kate O’Neill. Le journal a proposé à Kate O’Neill de passer un an à écrire sur l’épidémie qui avait tué sa sœur. “Kate pourrait écrire à ce sujet d’une manière différente de nos journalistes”, a expliqué l’éditrice Paula Routly. Lancée en janvier 2019, la série « Hooked: Stories and Solutions from Vermont’s Opioid Crisis », a couvert différents sujets autour de cette épidémie.

De plus, Seven Days a créé un site Web complémentaire intitulé All Our Hearts, qui a été lancé en septembre, avec des témoignages de personnes touchées par cette consommation d’opioïdes. Les familles peuvent y soumettre un formulaire décrivant leur être cher, et une personne du journal fera un suivi pour faire une interview.

10- WKMG TV

En 2016, le présentateur Matt Austin a eu un accident de la circulation avec un chauffeur qui envoyait des SMS en conduisant. Il a découvert ensuite que le conducteur n’avait pas eu de contravention, car la Floride avait une des législations les plus faibles du pays sur le sujet. Matt Austin a alors décidé d’effectuer un reportage télévisé racontant son histoire et les raisons pour lesquelles il estimait que la loi devait être revue. Un grand succès qui a mobilisé de nombreux spectateurs ayant connu une histoire similaire, élargissant ainsi l’audience traditionnelle de WKMG TV.

Le journaliste a alors décidé de mener un combat en allant à la rencontre des politiques pour faire changer la loi. Les nombreuses vidéos, diffusées avec succès sur les réseaux sociaux, ont à leur tour mobilisé les électeurs et abouti à une révision de la loi en 2019. Un bel exemple de journalisme engagé.