Publier en période de confinement : comment les rédactions s’organisent
Par Marion Wyss, le 11 avril 2020
Vous êtes-vous déjà glissé dans une rédaction ? Avez-vous déjà osé poser le pied sur les moquettes fatiguées, tenté une fesse sur les fauteuils déchiquetés, écrit un mot sur les bureaux encombrés ? Si pas, vous partager le travail de l’ami Christophe Caudroy, qui a photographié ceux du Monde il y a 10 ans nous procure un immense plaisir (il a effectué la même série photo juste avant leur déménagement à Austerlitz, mais il faudra être patient pour découvrir ce travail).
Comment imaginer que ces mêmes personnes (les journalistes), si attachés à leur bureau, si ancrés dans ces lieux sacrés (les rédactions), comment imaginer aujourd’hui devoir sortir un journal à distance, en étant tous à la maison ?
Il y a ceux qui ont cessé de paraître (nous en parlerons lundi), et ceux qui résistent :
A Libération, le 17 mars, une vingtaine de salariés était encore présents physiquement dans les locaux de Balard, comme l’explique son directeur délégué de la rédaction Paul Quinio ici. Pagination réduite, mais pagination quand même et sortie en kiosques assurée.
Au Soir par contre, qui en a fait un article, il n’y a plus âme qui vive au 100, rue Royale à Bruxelles. Tous les métiers, des reporters aux éditeurs, des secrétaires de rédaction aux maquettistes, tous, travaillent depuis chez eux, et sortent pourtant un journal quotidien. Dans son émouvant article, leur rédacteur en chef Christophe Berti prévient des inévitables couacs de début — le faire est déjà un exploit.
Au Temps à Lausanne, même prouesse : le rédacteur en chef Gaël Hurlimann s’est confié à La revue des médias de l’INA pour expliquer comment les réalités techniques se sont imposées, d’un coup : organiser à qui un ordinateur portable, à qui un grand écran, et surtout, comment le VPN pour accéder aux logiciels indispensables ! Pour le quotidien suisse, pas de diminution de la pagination : “c’est la plus petite que l’on puisse faire d’habitude, mais pas en dessous.”
Même situation à Challenges, hebdomadaire français, où le nombre de pages va passer de 80 à 68, son plus bas niveau possible : “Réduire davantage, ce serait carrément enlever un cahier de 16 pages ! On n’ira pas jusque là”, argumente son directeur de la rédaction Vincent Beaufils. Pour organiser la conférence de rédaction, qui réunit en temps normal près de 25 journalistes, les deux patrons du journal ont fait preuve d’ingéniosité : eux deux dans un bureau ensemble, chacun avec quatre personnes en conf call sur leur WhatsApp. Les deux téléphones en haut-parleur posés côte à côte sur une table, et hop ! Une conf de rédac qui s’est déroulée si pas avec tout le monde, quasiment sans heurts, à 10 personnes, donc.
A Livres Hebdo, qui venait d’annoncer son plan de restructuration autour de ses supports numériques, c’est un plongeon dans le grand bain un peu anticipé, mais qui renforce la pertinence de son évolution, et la conviction “qu’il fallait vraiment le faire”, souligne son directeur commercial François Rossignol. Tous les métiers ne sont pas en mesure de travailler aujourd’hui, certains ont du être mis au chômage technique. En parallèle, le mode journalistique a évolué. Pour ses nouvelles rubriques inhérentes à cette crise exceptionnelle, comme le Journal du confinement, la revue fait appel à des plumes externes et sollicite ses lecteurs pour y contribuer.
Pour appuyer tous ces nouveaux modes de travail, les outils de visioconférence n’ont jamais été aussi utiles (et utilisés !) qu’en ce moment.
“- Tiens, tu savais qu’on avait Slack à la rédac ? Ben oui, depuis 3 ans…” Les rois du papier avaient été durs à convaincre, à l’époque. Il serait intéressant de mesurer aujourd’hui le taux d’usage des rédactions des outils comme Hangout Meet, Teams, Whereby et autre Zoom…
Photo : Christophe Caudroy pour Le Monde.